Le domaine de l’innovation repousse chaque jour les frontières technologiques. Certaines inventions peuvent alors directement impacter l’ordre public, les bonnes mœurs, ainsi que les questions de défense nationale. Pour effacer les risques d’utilisation d’une invention à des fins malveillantes, l’État français a mis en œuvre une procédure pour déposer les brevets.
Spécificités du brevet d’invention
Un brevet peut être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, sous réserve de répondre aux conditions de brevetabilité. Les brevets ainsi déposés sont examinés par les offices, et leur publication a lieu après 18 mois, rendant accessible le contenu de ceux-ci aux yeux de tous et laissant ainsi libre court à tout un chacun de reproduire l’invention objet du brevet, en s’exposant bien sûr à une condamnation pour contrefaçon. L’octroi d’un brevet représente ainsi un compromis entre un office et un inventeur, ce dernier divulguant son invention en l’échange d’un monopole sur celle-ci durant 20 ans.
Les inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs
La question de la publication peut parfois poser problème quand l’invention porte sur un sujet pouvant porter préjudice à la société. C’est ainsi, par exemple, que les brevets portant sur des inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs sont exclus de la brevetabilité. Dans un autre profil, la publication des inventions ayant attrait à de l’armement ou tout autre élément pouvant servir par un quelconque moyen à la défense nationale pose question. Il serait en effet grandement préjudiciable que l’accès aux informations contenues dans des brevets portant par exemple sur l’amélioration de certaines armes, la protection anti-armement, ou encore des logiciels comme ceux utilisés par la NSA permettant d’écouter les conversations téléphoniques, tombe dans les mains de terroristes. Il en est de même pour les inventions présentant un double emploi, pouvant en plus de leur premier usage servir à la défense nationale, par exemple des composés chimiques.
La mise au secret des inventions qui présentent un risque
C’est pour pallier à ce genre de préoccupation que l’État français, via le Ministère de la Défense, a mis en place des prérogatives afin de vérifier si l’invention présente ou non un risque de faire l’objet d’une utilisation malveillante. Ainsi, les inventions touchant des domaines techniques proches de la défense nationale et réalisées sur le sol français devront obligatoirement faire l’objet d’un dépôt d’une demande de brevet français avant tout dépôt à l’étranger. Le Bureau de la Propriété Intellectuelle (BPI) de la Direction Générale de l’Armement (DGA) est alors chargé de détecter les inventions susceptibles de pouvoir présenter des risques, et de vérifier ensuite en détail si l’invention présente réellement ou non un risque, et de délivrer une autorisation de divulgation si non, obligatoire pour continuer la procédure de délivrance du brevet. Si une demande de brevet est mise au secret, la durée de celle-ci est d’un an renouvelable tous les ans, avec possibilité de lever l’interdiction à tout moment. La procédure de délivrance est alors mise en stand-by pour la durée de la mise au secret, et le titulaire a droit à une indemnité dans la mesure du préjudice subi.
Mise en œuvre de l’identification des brevets concernés
Afin de faciliter l’identification de ces demandes de brevets par le BPI, le code de la défense (article L. 2332-6) prévoit que les entreprises fabriquant des éléments pouvant avoir attrait à la défense nationale, tel des matériels de guerre des armes et munitions, sont tenues de faire connaître à l’administration le dépôt des demandes de brevets, faites par elles ou pour leur compte, concernant ces matériels et biens dans un délai de huit jours suivant le dépôt de la demande de brevet.
En pratique, d’après la DGA, cette obligation n’était pour l’heure que rarement mise en œuvre et la nécessité de détection de ces demandes conduisait à mobiliser de nombreux experts techniques, alors que le risque d’une divulgation d’une demande de brevet susceptible de constituer une menace pour les intérêts de la nation serait significativement réduit si les déposants utilisaient certains moyens de déclaration au ministère des armées, dès le dépôt. Les modalités d’application de cette déclaration restaient cependant à préciser, ceci entraînant des incertitudes dans sa mise en œuvre. Les sanctions du non-respect étaient a contrario déjà prévues à l’article L. 2339-3, et s’élèvent à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, possiblement portées à dix ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende si les infractions sont commises en bande organisée.
Quelle procédure suivre pour mon invention ?
Un décret du 14 avril 2017 et un arrêté du 4 mai 2017 sont venus finalement préciser les modalités de mise en œuvre de cette obligation de déclaration à l’administration. Le décret précise ainsi le contenu de la déclaration, devant indiquer la date de dépôt et le numéro de la demande de brevet, ainsi que le cas échéant des indications relatives au marché de l’État dans le cadre duquel l’invention a été réalisée (à savoir, le numéro et la date de notification du marché, ainsi que le nom du service acheteur). De fait, il n’est pas utile que cette déclaration contienne un résumé ou une copie de la demande de brevet, que les services de la DGA pourront retrouver par l’INPI.
Ce décret renvoie à l’arrêté pour l’établissement de la liste des matériels assimilés à des matériels de guerre et à des biens à double usage. Celui-ci dispose que les matériels et biens mentionnés à l’article L. 2332-6 sont les matériels et biens listés :
A l’annexe du règlement (CE) n° 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 incluant évidemment les armes et les engins de guerre, mais également les matières, installations et équipements nucléaires, les matières spéciales et équipements apparentés, le traitementdes matériaux, l’électronique, les ordinateurs, les moyens de télécommunications et de « sécurité de l’information », les capteurs et lasers, les biens de navigation et d’aéroélectronique, les biens en lien avec la marine, et les biens en lien avec l’aérospatiale et la propulsion.
Au second alinéa de l’article L. 2335-2 du code de la défense, se trouvant définis à l’arrêté du 27 juin 2012, à l’article L. 2331-1 du Code de Défense Nationale et à l’article R. 311-2 du Code de la Sécurité Intérieure énonçant de longues listes de matériels et biens tels que différents types d’armes, de munitions, d’engins, ou encore de composés chimiques pouvant entrer dans la composition d’armes biologiques…
Enfin, cet arrêté par son deuxième article dispose également que la déclaration du dépôt de la demande de brevet doit être transmise soit par écrit, à la sous-direction de la propriété intellectuelle et des affaires générales de la DGA, soit par voie dématérialisée, à partir du site internet du Ministère de la Défense en passant par le portail « saisine par voie électronique », et en rentrant DGA-Propriété intellectuelle dans l’encart « Votre question concerne ».
Avec ces deux nouveaux textes, le dépôt des demandes ayant attrait à la défense nationale est ainsi mieux encadré, et permet d’accroître la sécurité en facilitant la détermination et la déclaration des inventions concernées.