Sylvain Peyronnet intervient au sein du laboratoire de recherche privé IX-Labs qu’il a fondé pour soutenir les personnes et les institutions à prendre des décisions de façon informée dans le domaine du numérique. Le laboratoire est particulièrement reconnu pour son expertise dans le domaine de la conception d’algorithmes pour l’analyse des données et la prise de décision.
Nous avons eu le plaisir de poser quelques questions à Sylvain au sujet de l’Intelligence Artificielle qui fait aujourd’hui débat au niveau européen.
La Commission européenne a pour projet d’attribuer une responsabilité juridique aux robots. L’Intelligence Artificielle peut-elle vraiment inventer ?
C’est une vaste question. À l’origine, dans le programme du colloque de Dartmouth de 1956, cette notion apparaissait comme un des buts de l’Intelligence Artificielle (sous l’appellation poétique de “aléa et créativité”). Ensuite, la question même de ce qu’est une invention ou une oeuvre de l’esprit a toujours été difficile : quand un grand maître de la peinture avait tout un atelier de petites mains qui l’aidait pour faire le gros oeuvre de ses tableaux, qui était l’auteur ? Toujours le grand maître. Est-ce que le cas de l’Intelligence Artificielle est différent ? D’un point de vue philosophique je n’ai pas l’impression, et d’un point de vue technique l’Intelligence Artificielle crée certes de la nouveauté, mais en suivant une méthodologie qui reste encore assez fixe.
Ce qui a changé très récemment, c’est que plusieurs nouvelles méthodes ont été mises au point pour “transférer” des caractéristiques de données d’apprentissage sur des données nouvelles. On voit ainsi apparaitre des filtres pour des photographies qui vont transformer une photo pour en faire un tableau impressionniste, ou une œuvre “à la Klee”, ou etc. Est-ce réellement une invention “autonome” quand un filtre de mon téléphone mobile transforme une photo de ma cuisine en pseudo tableau impressionniste ? Il est permis d’en douter, même si le résultat peut être inédit et esthétique.
Avec la domotique, les véhicules autonomes, et le contrôle vocal de plus en plus performant, pensez-vous que l’on vit dans le futur fantasmé par la fiction ?
On est encore très loin de ce futur. On s’aperçoit que la domotique est encore très balbutiante et les exigences que l’on fait porter sur les véhicules autonomes (conduire mieux que les meilleurs humains) sont encore largement hors de portée. Ceci étant, on s’approche d’une certaine vision du futur avec les assistants vocaux qui permettent de réaliser certaines tâches “mains libres”.
Il est toujours intéressant de voir la coévolution entre la fiction et la réalité : quand la technologie informatique était encore balbutiante, la fiction nous proposait des “devices” très visibles (gros ordinateurs, salles machines, etc.), alors que maintenant on nous propose un futur ou la technologie est invisible, mais omniprésente. A ce titre, des œuvres de fiction comme le récent film “Anon” sur Netflix ou encore la série “Person of interest” sur l’Intelligence Artificielle sont très représentatives.
A l’heure actuelle, il semble que notre société fantasme un futur ou la technologie nous assiste 24h sur 24h tel un domestique silencieux et invisible.
A-t-on besoin de l’Intelligence Artificielle pour être meilleur que les humains, et inventer ?
Vaste question, j’y réponds non sans trop hésiter. Nous n’en avons pas “besoin” maintenant, mais peut-être créerons nous ce besoin un jour prochain. Mais pour l’instant l’Intelligence Artificielle ne fait rien de mieux que les humains, au contraire la plupart des techniques d’Intelligence Artificielle se cantonnent à mimer ce que sait faire l’humain, plus vite et de manière plus tenace et plus “amplifiée” : ce que le meilleur humain fait de temps en temps en quelques secondes, l’Intelligence Artificielle a souvent pour but de le faire tout le temps et plus vite.Quand on parle d’invention, il ne faut pas oublier qu’une invention n’est que rarement le produit d’un seul cerveau : c’est souvent le collectif qui fait émerger une invention (même si elle est souvent attribuée à une seule personne) et de ce point de vue, on n’a pas encore d’Intelligence Artificielle collaborative 😉
Le mot de l’expert en PI :
Une invention est aujourd’hui la propriété d’une personne morale ou à une personne physique mais l’inventeur est obligatoirement une personne physique. Ainsi une entreprise peut être titulaire d’un brevet, alors que seul un de ses salarié peut être l’inventeur (voir notre article sur le régime des inventions de salariés).
Le projet de la Commission Européenne pose de vraies questions, également en ce qui concerne le droit de la propriété industrielle.
Le nombre de brevets déposés pour des inventions réalisées par des IA est croissant, il est important de mener dès aujourd’hui une réflexion sur la qualité d’inventeur d’une Intelligence Artificielle, que sur la titularité des brevets qui en sont issus.